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Jean-Louis Poitevin sur le travail de Martial Verdier
Sur les Corps et les Vanités extrait du catalogue Artsenal
Les gestes du silence.
Le monde aujourdhui est peuplé de trop de bruits. Et limage, la lisse et plate image qui traduit le réel dans le même mouvement quelle nous en exile, cette image-là est le plus terrible de ces bruits en ce quil sadresse directement à la conscience et détermine irrémédiablement la forme de nos croyances. Face à lévidence de limage, celui quun désir sans attache pousse à défaire le réel pour le recomposer, celui-là est au coeur dune lutte permanente avec le cri muet quelle ne cesse dêtre. Martial Verdier a choisi. Il compose, impose de longs temps de pose à ses modèles, laisse lalchimie des bains et des matières agir et ne désespère pas de conduire la photographie jusquau point où elle pourrait abandonner toute référence au réel pour se consacrer à linvention de formes restées enfouies dans les rêves inachevés dun dieu. Alors, seul, il célèbre par des gestes invisibles tant ils sont lents, le silence tapi au coeur de toute image. Aux vanités qui parlent à lâme le langage de sa disparition, il joint la dissolution des formes du corps dans une brume qui évoque immanquablement la trame secrète de la matière en acte qui nous compose. Lhomme et les formes du réel ne sont que des possibilités parmi dautres. Ainsi, en rapportant la fabrication de limage aux conditions initiales de son apparition, Martial Verdier célèbre moins la dissolution programmée de tout que le mystère concret et pourtant incernable de toute apparition.
PASSAGE in " Les Ambassadeurs "
Bien
sûr, on le sait, le corps, notre corps, disparaîtra. Un
jour il ne sera plus que poussière. - Et alors quoi ! ne cesse
de se demander lhomme ? - Alors, rien ! Et ce rien, indéfiniment,
le pétrir, le faire lever, lui donner vie au moins un instant.
Et chaque fois redire le mystère de la création, ce devenir
visible dune forme, son émergence dans la lumière.
Pourtant, âpre est le combat qui trame ses batailles dans lesprit
de lhomme. Sans la matière, il ne saurait dire quil
sent et vibre, sécartèle et se rassemble, est et existe.
Sans la matière, il ne pourrait imaginer que les étoiles
sont ses soeurs et lunivers un autre lui-même plus étendu
plus vaste et peut-être moins impénétrable que lui-même.
Mais cette matière, sur laquelle viennent se briser les rayons
du soleil, il désire infiniment sen défaire, la fuir
ou la nier, la trahir ou y renoncer. Car en lui il y a, désir ou
nostalgie, une force qui le pousse vers un monde dexacte perfection,
où tout enfin serait lié, où lunité
saccomplirait dans la diversité en une noce sans fin. Martial
Verdier sait à la fois quon ne peut passer dun monde
à lautre que métaphoriquement tant que règne
la matière, mais il sait aussi quil est possible de conduire
cette matière sur le chemin de sa transmutation. Nest-ce
pas en devenant lumière que le corps doit pouvoir pénétrer
dans le monde des correspondances ? La photographie se trouve alors confrontée
à lune de ses plus terribles tentations qui est aussi lune
de ses limites : reconduire le visible au lieu de sa nostalgie, à
la lumière pure, symbole et nom de ce qui est digne dêtre
contemplé. Pour y parvenir, Martial Verdier nous dit que le corps
doit accepter de passer par une étape où il devient grain,
grain de matière lumineuse, grain de pure lumière. Et alors,
il y est, oui, de lautre côté, là où
"tout nest quordre et beauté, luxe calme et volupté".
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We
know it, of course: the body, our body will disappear. One day, it will
be only dust. ³And then what,² man keeps asking. And then, nothing. And
this ³nothing,² if it were possible indefinitely to knead it, to make
it rise, and to give it life, at least for a moment. And each time, the
mystery of creation would be repeated, form would become visible and emerge
in the light. However, a bitter battle is waged in mans soul. Without
matter, he could not say that he feels and throbs with life, that he divides
and reunites, that he exists. Without matter, he could only imagine that
the stars were his sisters and the universe another self, wider, vaster
and perhaps less impenetrable than he was. But he has an immeasurable
desire to be free of this matter which rays of sunlight strike against,
a desire to flee it or deny it, to betray it or renounce it. Within him
there is a force - whether desire or nostalgia - that drives him towards
a world of perfection where everything would finally be linked together,
where unity would be achieved in diversity in a never-ending wedding celebration.
Martial Verdier knows that, as long as matter reigns, it is possible to
pass from one world to another only metaphorically, but he also knows
that matter can be moved along the path to transmutation. Isnt it
by becoming light that the body is supposed to be able penetrate the world
of correspondences ? Photography is thus confronted with one of its most
dreadful temptations, which is also one of its limitations: to take the
visible world back to where it longs to go, to pure light, the symbol
and name of what is worthy of contemplation. To arrive there, Martial
Verdier tells us that the body must accept to pass through a stage where
it is turned to grains of luminous matter, grains of pure light. And when
that happens, it will have passed over to the other side, where "tout
nest quordre et beauté, luxe, calme et volupté."
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